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Ligue de Défense des Personnes Trans - Europe

Site destiné à information et action pour la protection des personnes dites "trans". Site destined for information and action in the protection of transgender people

Livre blanc juridique Etat Civil et Personnes Trans

5 questions à ... Samantha Montfort

Contact : samantha.montfort@gmail.com

Pourquoi ce livre blanc ?

Notre association accompagne beaucoup de personnes « Trans » (transsexuels, transgenres) pendant leur transition. Nous nous sommes rendu compte que le cadre juridique actuel en France est trop souvent un facteur aggravant dans les difficultés qu’elles rencontrent dans leur parcours. Nous pouvons même, dans bon nombre de cas, dire que c’est un élément clé dans la marginalisation de certaines personnes.

Nous avons donc décidé de rédiger ce livre blanc afin que le législateur s’empare enfin de la question de protection de cette population extrêmement vulnérable et souvent méprisée.

Qu’est-ce qu’il apporte par rapport à tout ce qui a déjà été écrit sur le sujet ?

Tout d’abord, c’est tout simplement la première étude aussi complète réalisée sur le sujet depuis de nombreuses années.

Deuxièmement, même s’il s’agit d’un ouvrage sur le cadre juridique, il prend comme point de départ la vie réelle de la personne dans tous ses aspects : vie professionnelle, vie privée et familiale, vie citoyenne, voire vie carcérale. Les débats sur le cadre juridique autour ce cette question partent trop souvent d’un point particulier de droit pour ensuite évoquer son incidence sur une partie de la vie de la personne, sans regarder les autres aspects. Ils oublient trop souvent que la vie d’une personne ne peut être compartimentée, que ce sont des vraies personnes en chair et en os qui travaillent, qui font des études, qui ont des responsabilités familiales, qui ont des vies aussi variées que le reste de la population française et dont l’incidence d’une décision en justice ou d’une règle appliquée aveuglement sur une question spécifique juridique peut avoir des conséquences globales, significatives et réelles, souvent désastreuses sur elles. L’histoire de la jurisprudence sur cette question démontre que les tribunaux et parquets civils sont structurellement dessaisis des conséquences réelles de leurs décisions.

Enfin, par ce livre blanc, nous proposons un ensemble de solutions, correspondant à l’ensemble des problématiques auxquelles cette population peut se trouver confrontée au quotidien, conformes aux valeurs de la République, au droit français et européen, aux recommandations du Commissaire européen des Droits de l'homme, aux principes de Jogjakarta et attentes des personnes concernées. Nous n’éludons aucun sujet majeur et même sur les sujets les plus potentiellement polémiques – le mariage, la filiation – nos recommandations se veulent pragmatiques.

Tout n’est donc pas déjà bien réglé en France pour les personnes « Trans » ?

En un mot, non. C’est une population de plusieurs milliers de personnes, citoyens et citoyennes à part entière, qui est contrainte par l’Etat à subir des atteintes à ses droits fondamentaux pendant des périodes très longues, voire durant toute la vie. C’est également une population qui doit faire face à un réel problème de discrimination, le dispositif actuel dans ce domaine étant très perfectible.

L’état civil est le premier grand problème. Avec ses deux dérivés principaux – les pièces d’identité prouvant sa nationalité (CNI, passeport) et le NIR, ou Numéro de Sécurité Sociale – il est omniprésent dans la vie quotidienne. Pour reprendre les mots de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 1992, lors de la condamnation de la France par celle-ci : « Partant, un transsexuel ne saurait franchir une frontière, subir un contrôle d’identité ou accomplir l’une des multiples démarches de la vie quotidienne qui impliquent une justification d’identité, sans révéler la discordance entre son sexe légal et son sexe apparent… Un transsexuel ne pourrait donc cacher sa situation à un employeur potentiel et à son personnel administratif, ni dans les multiples occasions de la vie quotidienne où l’on doit prouver la réalité et le montant de son salaire (conclusion d’un bail, ouverture d’un compte en banque, demande de crédit, etc.)… La Commission souscrit en substance à la thèse de l’intéressée. D’après elle, celle-ci subit, en raison de la nécessité fréquente de révéler à des tiers des éléments relatifs à sa vie privée, des perturbations trop graves pour que le respect des droits d’autrui puisse les justifier. … Dès lors, même eu égard à la marge nationale d’appréciation, il y a rupture du juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu (paragraphe 44 ci-dessus), donc infraction à l’article 8 (art. 8) ».

Cette condamnation, ainsi que l’arrêt de la Cour de Cassation allant dans le même sens 9 mois plus tard, ont permis une première « ouverture » dans le mur qui séparait les personnes Trans de l’Article 9 du code civil qui garantit le respect de la vie privée. Cette « ouverture » s’est traduite, par contre, en une procédure de changement d’état civil basée sur une présomption de tromperie et de fraude. Résultat : ces personnes ne sont protégées qu’au bout d’un processus long (entre trois et neuf ans après le début de la transition), coûteux, douloureux et humiliant qui les enferme dans un statut de « troisième sexe » à l’état civil pour le restant de leur vie.

Il faut savoir que pendant cette période de transition, les risques de marginalisation et de précarisation sont extrêmement élevés : 26 % des personnes perdent leur travail, 11 % perdent leur logement. 40 % de celles qui perdent leur travail deviennent SDF à un moment ou un autre. Or, le taux de discrimination à l’embauche ou dans la recherche d’un logement est nettement plus élevé quand les informations sur la pièce d’identité / NIR sont discordants avec l’apparence : 20 % plus élevé dans le cadre de la recherche de travail et 50 % plus élevé dans la recherche d’un logement. Dans ce cas,

l’Etat civil devient non seulement une source d’atteinte à l’intimité, mais également un vecteur de discrimination.

Même pour la partie de cette population qui en sort sans véritable marginalisation, l’expérience, le plus souvent ressentie comme vexante et humiliante, demeure éprouvante. Les conflits de droits associés sont effectivement nombreux. Comme l’avait constaté la CEDH en 1992, et ce qui est toujours vrai aujourd’hui, les personnes « Trans » doivent en effet choisir entre leur intimité, théoriquement garantie par l’Article 9 du Code Civil et, par exemple :

• Trouver un travail

• Exercer une activité économique en tant que travailleur non salarié, exercer une fonction de mandataire social

• S’inscrire aux Pôle emploi

• Se faire soigner

• Trouver un logement

• Exercer ses droits parentaux, y compris leur autorité parentale

• Exercer ses droits civiques.

Cela est très préoccupant.

Dans certains cas, notamment lors des voyages professionnels (et privés) et dans les milieux carcéraux, l’Etat civil expose ces personnes au risque d’atteinte à leur intimité physique. Il faut savoir qu’une part très importante de ces personnes a déjà subi des agressions sexuelles, souvent liées à leur condition, et ces atteintes à l’intimité physique ne font qu’augmenter la détresse et la souffrance de ces personnes.

C’est cette double incidence de l’Etat civil – entre atteinte à l’intimité et vecteur de discrimination – que nous suggérons d’éliminer à la source, en permettant un changement de celui-ci dès le début du processus de transition, autrement dit dès que la personne en a besoin.

Au sujet des lois contre la discrimination, nous y voyons plusieurs problèmes. En premier lieu, même si le Ministère de la Justice a précisé le 16 février 2010 que les personnes transsexuelles et transgenres étaient bel et bien protégées par les dispositifs du Code Pénal contre la discrimination sexuelle, cette information reste assez confidentielle, sur la page 1772 du JO de l’Assemblée Nationale, question 65758 et ne figure sur aucun document facilement accessible au public. L’objectif des lois contre la discrimination étant de marquer les esprits afin de prévenir des discriminations, nous estimons qu’il y a encore du travail à faire. Nous pensons également que même si ça va sans dire, ça va mieux en le disant.

Deuxièmement, il est très difficile de prouver ce genre de discrimination : comment prouver qu’un refus d’embauche est lié à une discrimination quand il y a parfois plusieurs centaines de prétendants pour un poste ? Comment prouver qu’on a été licencié(e) abusivement alors que les entreprises sont de plus en plus sensibles à l’intérêt de ne pas laisser de traces écrites ?

Enfin, le fait d’être obligé par l’Etat, via l’Etat civil, de violer son intimité contre sa volonté est une forme de contrainte étatique, proche de la discrimination indirecte décrite dans l’Article 1, alinéa 2, de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, mais hors du champ d’application des lois contre la discrimination.

Pourquoi parlez-vous de la création d’un troisième sexe à l’Etat Civil ?

Bien que les tribunaux ne considèrent plus ces personnes exactement comme des eunuques, la persistance de cette notion est apparente dans la nature « constitutive d’état » du changement de l’état civil résultant de la procédure de réclamation d’état, qui a abouti à la création d’un troisième sexe, visible à toute personne ayant accès à la copie intégrale de l’acte de naissance.

Cette procédure imposée – hors de toute consultation des personnes concernées - pour répondre à ce que nous considérons comme un faux problème, est au cœur de la création du statut de « troisième sexe ». En rendant le changement « sui généris », en rendant visible et accessible l’historique de la transition, par la modification apportée sur l’acte d’état civil, entre autres documents, la personne devient – pour l’état civil – ni tout à fait homme, ni tout à fait femme, mais un peu des deux, créant ainsi un véritable « troisième sexe » officiel.

En effet, la mention sur la copie intégrale « l’intéressé sera désigné de sexe féminin » (ou «l’intéressée sera désignée de sexe masculin», selon le cas), avec explicitation des anciens et nouveaux prénoms, signifie le refus de reconnaître le changement opéré par l’utilisation inappropriée du genre de naissance de la personne qui effectue une transition. La personne n’est pas de sexe féminin ou masculin, mais est simplement désignée comme telle, devenant ainsi ni tout à fait homme, ni tout à fait femme, mais un peu des deux. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un véritable changement, mais juste d’un moyen visant à contourner les décisions et évolutions européennes.

C’est en soi une atteinte à l’intimité de la personne transsexuelle incohérente avec le traitement d’autres personnes dont le caryotype n’est pas identique à la mention du sexe sur l’état civil.

Selon nous, la position « eunuchiste » de la Cour de cassation d’avant 1992, ainsi que l’avatar post-1992 des concepts d’ « illusion plus ou moins réussie », d’ « artifice » - et donc de tromperie et de fraude – censurés par la CEDH et la Cour de cassation, persistent.

Nous considérons que cette situation est contraire aux principes de la dignité et de l’intimité, nuisible aux personnes concernées et que d’autres solutions peuvent être mises en œuvre pour protéger les droits des tiers.

Par conséquent, nous proposons de revenir à une situation où l’état civil de la personne trans est sans ambiguïté pour le lecteur des différents documents le concernant et ne trahit pas son parcours médical, tout en garantissant les droits des tiers liés à la situation antérieure au changement.

Avec tous les changements que vous préconisez, n’êtes vous pas en train de demander des droits spécifiques pour les personnes « Trans », le fameux « droit à … » communautariste ?

Que les parcours des personnes « Trans » suscitent souvent de l’incompréhension, des désaccords prenant leur source dans la religion ou la morale, des réactions parfois très fortes, des préjugés, est une évidence.

Cela ne justifie en aucun cas la situation actuelle de mise au ban, de « outing » quotidien, d’exposition à la discrimination et au harcèlement, de marginalisation, de fragilisation, de vexation, d’humiliation.

Ce que nous avons tendance à oublier est que le changement de sexe – et des prénoms correspondants, les deux ne pouvant être distingués – est le seul et unique changement d’Etat civil couvert par l’article 9 du Code Civil. La CEDH l’a dit en 1992 et 1995 et la Cour de Cassation l’a confirmé en 1992. C’est vrai que ce genre de situation n’avait pas été prévu lors de la rédaction du Code Civil en 1804. Peu importe. Ce n’est pas un changement d’Etat civil comme un autre et tout ce que nous demandons est que l’Article 9, y compris le principe d’une procédure judiciaire extrêmement rapide selon son alinéa 2, soit véritablement respecté en toutes circonstances.

Quand nous regardons la liste de tout ce qui n’est pas appliqué à cette population– outre l’Article 9 du Code civil, et tous les conflits de droits dont nous avons parlé, nous pouvons aussi mentionner l’Article 1110-4 du Code de Santé public, le principe à valeur constitutionnelle du respect de la dignité de la personne, l’Article 16 du Code Civil, ainsi que les Articles 8 et 14 de la Convention Européenne du sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – c’est assez impressionnant.

Si nous prenons un peu de recul, la vraie question est : quand la République va-t-elle commencer à traiter les personnes « Trans » comme des citoyennes et des citoyens à part entière, avec les mêmes droits que quidam ?

Nous espérons de tout cœur que ce Livre Blanc contribuera à améliorer la situation et travaillons déjà dans ce sens.

Contact : samantha.montfort@gmail.com

Centré sur la vie réelle de ces personnes, ce livre blanc fait état des nombreuses difficultés rencontrées par cette population dans tous les domaines de la vie - professionnelle, privée et familiale, citoyenne, voire carcérale. Par ce livre blanc, ORTrans propose des solutions conformes aux valeurs de la République, au droit français et européen, aux recommandations du Commissaire européen des Droits de l'homme, aux principes de Jogjakarta et aux attentes des personnes concernées.

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