21 Mars 2015
La France n’est pas à un paradoxe près.
La plus catholique des républiques laïques - avec plus de la moitié des jours fériés d’origine catholique, le saint (catholique) du jour annoncé à la télévision publique, le dimanche imposé comme jour de repos quelle que soit la confession de la personne, un financement des écoles privées, à 90 % catholiques, à hauteur de plus de 7 milliards d’Euros par an, une journée de rupture à l’école primaire à l’origine pour le catéchisme et maintenant érigée en dogme – elle est considérée par le Vatican comme « éducateur des peuples ». Or, la France figure parmi les pays où l’importance de la religion dans la vie quotidienne des gens est le plus faible au monde.
Le plus germanique des pays latins, héritage du moyen âge où les nobles se voyaient comme héritiers des tribus guerriers allemands pour justifier leur domination les paysans gaulois, avec un discours omniprésent de l’ordre public. Le mythe fondateur de la France – Vercingétorix le «loser» face à un Jules César vainqueur – entérine de son coté la domination du peuple (gaulois) par les romains supérieurs en droit, en ingénierie et en armes, avant que ces derniers soient à leur tour vaincus par les tribus germaniques. L'héritage d'une élite "nécessaire" pour gouverner les "gueux", reste bien présent.
Fiers de leur sens de la modération, une forme d’extrémisme et d’instabilité hante pourtant le pays, comme un démon que la France n’a jamais réussi à maîtriser : 5 républiques, 3 révolutions, mai 1968, la collaboration, l’épuration, la grande terreur, la terreur blanche, les grèves à répétition, l’OAS, l'Action Française, l'Action Directe, le poujadisme, les grandes manifestations qui peuvent tourner au vinaigre émaillent depuis plus de 200 ans l’histoire française. Ce démon est ancien : la Ligue, les jacqueries, la fronde, la Saint Barthélemy, la croisade albigeoise et la création de l’inquisition, la guerre des camisards, les autres guerres de religion, la révocation de l’Edit de Nantes, les croisades avec les massacres des chrétiens d’orient font écho aux soubresauts post-révolutionnaires.
Et si la relation entre gouvernés et gouvernants, incarnée dans certaines parties clés du code civil, n’était pas étrangère à ces paradoxes ? Et si la montée du FN en était le reflet ? Selon le Doyen Carbonnier, le code civil serait « la constitution civile des français ». Puisant ses sources dans l’ancien régime, dans le droit canonique et dans la période consulaire, avec leurs idées particulières sur la gouvernance sociétale, certains articles du code civil interpellent à ce sujet.
L’exposé des motifs de la loi du 11 germinal an XI, ancêtre de l’article 61 du code civil sur le changement de nom, explicite le postulat de citoyens-enfants capricieux et fantaisiste que le gouvernement doit contrôler pour assurer l’ordre public :
« Des idées de liberté exagérée sur les facultés que chaque personne pouvait avoir d’adopter ou de rejeter au gré du caprice ou de la fantaisie, le nom qui doit ou la désigner individuellement, ou déterminer la famille à laquelle elle tient, ont introduit une confusion et de graves inconvénients qui doivent nécessairement fixer l’attention du législateur ; il ne peut surtout laisser échapper le moment où il règle, par un code civil, les droits et les rapports de tous les membres de la société, sans fixer en même temps, d’une manière invariable, les principes d’après lesquels ils doivent se distinguer les uns des autres. […]…
[…] qui peut mieux que le gouvernement juger de la validité des motifs sur lesquels la demande de ce changement [de nom] est appuyée ? et qui peut prononcer si ce n’est lui, qui, placé au sommet de l’administration, est seul à portée de s’éclairer et de décider entre une demande raisonnable et un caprice ? ».
Ce postulat, loin d’être isolé, fonde l’ensemble des principes concernant le contrôle par l’Etat des aspects les plus intimes de la vie privée de l’individu – son identité (articles 60, 61 et 99 du code civil), son corps (article 16 du code civil) – mais également dans sa liberté d’entreprendre, fortement encadré.
Si ces « citoyens-enfants » ne sont pas capables de prendre des décisions sur les choses les plus intimes de leurs vies sans l’intervention de l’Etat et sans être considérés comme un risque de déstabilisation de l’ordre public, pourquoi serait-ils capables de devenir de véritables acteurs dans la Cité ? C’est le paradoxe fondamental de la démocratie en France, sans résolution depuis plus de 200 ans.
Le résultat est une situation où :
Face à cette situation, il n’est pas surprenant que le pays explose de temps en temps, que les « citoyens-enfants » cherchent une alternative, pour reprendre le pouvoir sur leurs vies et faire entendre leur voix, aussi « fantaisiste » ou « capricieux » qu’elle pourrait être perçue par les élites.
Le Front National n’est que le dernier exemple d’une liste millénaire de jacqueries et d’extrémistes qui disent donner le pouvoir au peuple, tout en cherchant à diviser le pays, qui feront peur aux élites pendant un certain temps. On sait qu’une fois le choc passé, tout reviendra comme avant pour élites, mais pas pour les personnes qui feront l’objet de la haine et de l’exclusion véhiculées par ce groupe. La glorification récente à Béziers de l’OAS n’est surement qu’un début.
On peut condamner le FN, mais ce sera vain, tant que perdurera cette bombe à retardement qu’est le mépris de l’individu au cœur des lois gouvernant la République. La France sera-t-elle capable de la désamorcer à temps ?
Samantha Montfort